Sid se leva dans les alentours de six heures du matin. Ce n’est pas vraiment une heure qu’il était obligé de respecter et, à vrai dire, Sid n’était pas obligé de respecter grand-chose. Sur le palier du quarante-sixième étage, il croisa sa voisine Margaret. Un peu déboussolée, la vieille femme hurlait à qui voulait l’entendre qu’elle avait chez elle les clés du paradis, que Dieu les lui avait confiées pendant la nuit, par le biais d’un rêve. Elle se jeta sur Sid et le supplia de la croire. Le jeune homme entrouvrit la bouche pour répondre mais la femme criait tellement fort qu’il n’était pas sûr de s’entendre lui-même.
-Par un rêve ! Vociférait-elle. Par un rêve ! Il me les a envoyées ! Je les ai ! J’ai les clés du Paradis !
Sid attrapa la vieille par les épaules et la retint fermement pour qu’elle se calme. Elle semblait revenir peu à peu à elle et le jeune homme se disait qu’elle allait sans doute très mal vivre la suite. Il voyait presque se former dans l’esprit de sa voisine les dessins de la désillusions alors qu’elle se rendait compte de l’absurdité de la situation et, par la même, du fait qu’elle devenait complètement folle et peut-être de façon chronique.
-Ce n’est pas possible, pas vrai ? Murmurait-elle à présent alors qu’elle s’affaissait sur elle-même.
Sid fit un petit sourire.
-Mrs Johnston, tout est possible. Jesus m’envoie des textos parfois pour me rappeler que les misères de ma vie ne sont rien à côté de la crucifixion. Je suis sûr que ça arrive à plein d’autres personnes mais ils vous disent le contraire car ils sont jaloux que vous connaissiez Dieu en personne.
Sid se trouvait pitoyable de mentir comme ça, mais il se disait qu’il avait vraiment rêvé de Jesus qui lui envoyait des textos et il en avait tiré un message assez philosophique : abandonner son portable. Mais il paraît qu’il faut encourager les fous pour qu’ils ne se suicident pas.
*Heureusement que je m’encourage intérieurement sinon je serais écrabouillé sur Sunset Boulevard depuis un moment. *
L’image de son corps ramassé par des dizaines de petites cuillères lui donna un haut-le-cœur et il préféra reprendre la contemplation de sa vieille voisine qui, malgré sa peau tombante et son odeur d’urine, lui donnait un peu moins envie de vomir. Elle lui souriait, complètement apaisé
-Merci Baptiste… dit-elle, le regard plein d’amour.
-De rien Mrs Johnston…
Il mit les écouteurs de son mp3 sur ses oreilles et commença à descendre les escaliers en se demandant comment aurait été sa vie s’il s’était appelé Baptiste. Une part de son être se disait qu’il serait le même et une autre lui hurlait qu’il aurait été plus riche.
*Ta gueule le cerveau !*
Satisfait, il continua son immense descente en se promettant de prendre l’ascenseur au quarantième étage. Bizarrement il ne le prit qu’une fois arrivé au dixième étage, la musique adoucit les mœurs et déconcentre complètement, même lorsqu’il s’agit de marches.
Arrivé au rez-de-chaussée il prit les escaliers jusqu’au parking souterrain. Il avait une bonne place non loin de la porte en métal qui coupait l’immeuble des odeurs des garages. Il monta dans sa Mercedes SL et, après avoir mis des mitaines en cuir et des lunettes de soleil, il démarra tout en baissant sa vitre. Il composa son code pour ouvrir le portail automatique et il sortit en trombe dans la rue.
Il était tôt mais la circulation n’était pas des moindres. Il mit une heure pour se rendre à l’université. Il allait y vivre sa première journée mais il n’était pas particulièrement nerveux. Les bâtiments étaient immenses. Il demanda cinq fois son chemin à diverses personnes et chacune lui donna un itinéraire différent, mais il ne leur en voulut pas, c’était drôle de faire chier les nouveaux, il le savait. Il parvint enfin à voler un plan à un garçon qui s’était endormi en lisant et il se rendit à l’administration.
L’administration c’est le genre d’endroit où tout devrait être mieux organiser que nulle part ailleurs et où l’on a pourtant l’impression que c’est le bordel en permanence. Il y a des élèves de partout, la plupart ne sont pas là pour une bonne raison, les autres ont des dossiers épais comme quatre bibles dans les bras. Les bureaux sont en fait de grands comptoirs d’où dépassent des chignons serrés ou des crânes dégarnis ou rien du tout.
Ce qui fit peur à Sid au premier coup d’œil, c’était les filles. Les mecs étaient en petits groupes et discutaient à voix basse de matches de basket ou de voitures, ils étaient réunis sans signe particulier, hormis les beaux gosses qui étaient ensemble face aux intellos qui n’étaient pas trop soudés. Mais chez les filles ! Rangement par couleur ! Pas par couleur de rouge à lèvre ou de vernis à ongle, pas par couleur de t-shirt ou par couleur de chaussures, nan, par couleur de cheveux.
Dans le hall de l’administration il y avait quatre blondes qui parlaient fort et riaient à gorge déployée. Elles étaient super belles et portaient tout ce qu’il y avait de plus à la mode. Elles semblaient être adorées par les garçons et elles leur lançaient d’ailleurs de longs regards passionnés. Assise sur des chaises, trois rousses parlaient du cours qui venaient d’avoir lieu et dans lequel il y avait eu une bagarre qui avait fini dans le bureau du Headmaster. Enfin, appuyées contre un poteau, trois brunes parlaient doucement d’une équation que l’on disait impossible à résoudre sans l’aide d’un gigantesque ordinateur. Sid, qui ne se fiait d’ordinaire pas aux préjugés, trouvait cette situation complètement hallucinante. L’endroit était empli de tous les clichés de la Terre sur les filles.
*Ok…*
-Vous désirez, jeune homme ?
Sid tourna la tête, la queue s’était terminée plus vite qu’il ne l’avait espéré.
*Une corde pour me pendre...*
-Je suis nouveau. Voilà.
Il donna sa carte d’identité et la femme fit une grimace.
-Oh! Pardon, je dois en avoir une en anglais…
Il fouilla dans ses poches et finit par trouver sa carte américaine.
-Sid Kessen… Casier 183. Voici votre code, votre emploi du temps, un plan et la liste des ouvrages que vous devrez acheter pour le bon déroulement de votre année. Bienvenue.
-Merci….
Il fit volte face, les papiers dans les mains, et il se dirigea vers la sortie. Il se rendit aux casiers à l’aide du plan.
-178... 189.… hein ?
Il regarda autour de lui et il tenta de comprendre le système de numérotation. Il se demandait pourquoi on ne lui avait pas donné un feu de détresse qu’il pourrait actionner dans ce genre de situations…